IRONIE DU SORT : Les fondations du camp Boiro
La prison de Boiro fut construite en 1961 par les Tchèques, sous l'égide de Keita Fodéba, ministre de l'Intérieur et de la Sécurité et en même temps ministre de l'Armée populaire guinéenne. Le camp d'extermination des détenus politiques, à Conakry, se trouve dans l'enceinte du vieux camp de la garde républicaine, vieux camp colonial tout juste situé en face de l'hôpital central de Conakry, l'hôpital Donka. Les bâtiments et leurs cellules achevés, Fodéba invita un jour le docteur Roger Accar, alors ministre de la Santé, à visiter les lieux et à donner son avis. La visite terminée, le docteur Accar posa une question et une seule, à Fodéba.
C'est ici que vous allez mettre des hommes ?
Et alors ? C'est fait pour ça non ? répondit l'illustre ministre.
Ce n'est pas croyable, Fodéba ! Les cellules n'ont même pas de fenêtre et pas de plafond ; avec leur étroitesse, des hommes mis ici perdront la vue et mourront comme des mouches et...
Ça suffit ! coupa le ministre. La visite est terminée.
Nous étions en 1961. En 1969, Fodéba finit sa vie dans la cellule n° 72.
La cellule n° 72 est la dernière des deux longs bâtiments de la mort aux portes de fer. Elle est tout juste à deux mètres des WC, WC dans lesquels nous vidions nos pots de nuit chinois, un à un, cellule par cellule, baïonnettes aux fesses, à partir de 4 heures du matin. C'est dans cette cellule n° 72 que Fodéba Keita, bâtisseur du Camp Boiro, a fini ses jours. Sur un mur de la cellule, gravée à l'aide d'une pointe, on peut lire cette confession lumineuse, signée Keita Fodéba : « J'ai toujours servi une cause injuste et pour ce faire, j'ai utilisé l'arbitraire. J'étais chargé d'arrêter tous ceux qui sont susceptibles d'exprimer la volonté populaire. Je n'ai compris que lorsque je fus arrêté à mon tour. Le jour fatidique arriva ...»
Vous comprenez bien que quand les voleurs ont le pouvoir et qu'ils jugent les volés, ces derniers et leurs biens n'ont aucune chance. Le Comité révolutionnaire n'est, je le répète, qu'un tribunal d'inquisition, sans aucune différence avec les tribunaux moyenâgeux.
Extrait du livre-témoignage du lieutenant Camara Kaba : Dans la guinée de Sékou Touré : Cela a bien eu lieu.